D'un projet de fin d'étude à la scène : Clara Jauvart-Lacoste, comédienne et metteuse en scène d'Hubris, vous raconte le processus créatif autour de la pièce
D'un projet de fin d'étude à la scène : Clara Jauvart-Lacoste, comédienne et metteuse en scène d'Hubris, vous raconte le processus créatif autour de la pièce
À tous les créatifs, ceux qui rêvent, osent, imaginent et inventent des scénarios, des histoires et des personnages... Cette interview est pour vous ! Passionnée de théâtre, Clara Jauvart-Lacoste a tout quitté pour transformer sa passion en métier. Diplômée du Cours Florent, elle présente en ce moment sa première création théâtrale, Hubris, inspirée de L’Iliade d’Homère. Comment créer sa propre pièce et la mettre en scène ? Comment bien s'entourer et former une troupe solide pour donner vie à ses personnages ?
D’où vient cette passion pour le théâtre ?
C.J.L : Je pense que je l’ai toujours eu. Avant de faire du théâtre, je faisais du droit des affaires. Une fois mon diplôme obtenu et une proposition de CDI en tant que juriste refusée, j’ai quitté mon sud pour partir faire du théâtre à Paris. Ce choix, aussi difficile et effrayant qu’il puisse paraître, a été une évidence pour moi. Je n’étais pas faite pour les bureaux, mais pour la création.
Tu sembles avoir un véritable esprit créatif…
C.J.L : Oui. Mes parents m’ont toujours dit que j’avais un esprit créatif. Lorsque j’étais très jeune, lors d’un rendez-vous chez le pédiatre pour mon grand frère, je m’étais assise sur le côté et j’ai commencé à faire une frise de couleur pour patienter. Quand le médecin l’a récupérée, elle était surprise de la manière dont j’avais accordé les couleurs entre elles et de l’harmonie qu’il en ressortait. Ma mère, ne comprenant pas vraiment son étonnement, lui a dit : “C’est juste une frise, elle en fait tout le temps”. C’est la première personne qui a dit à mes parents que j’allais certainement plutôt être créative dans le futur. Et puis petit à petit, j’ai commencé à faire des hobbies artistiques comme le piano. Il a été convenu que je prenne dix ans de cours pour avoir les bases et qu’après j’étais libre d’arrêter. Une fois les dix années acquises, j’ai arrêté les leçons de piano, mais je n’ai jamais arrêté d’en jouer. Je composais pour moi et ma famille, sans partition, seulement les touches, mon imagination et ma sensibilité. Puis j’ai commencé le théâtre, au départ au collège, puis après en cours extra-scolaire. Une fois le bac en poche, je voulais déjà partir faire du théâtre. Mais la raison a pris le dessus sur la passion et j’ai fait du droit à l’Université Lyon III. La fin de ce chapitre, vous la connaissez déjà, je suis partie. Cet attrait pour la création, sous toutes ses formes, que ce soit l’écriture, la composition, ou l’incarnation, a évolué avec moi depuis toujours. Aujourd’hui, j’ai décidé de tout faire pour en faire mon métier.
Tu as choisi les Cours Florent pour te former au théâtre. Quel souvenir en gardes-tu ?
C.J.L : J’ai fait 3 ans au Cours Florent. Les trois années sont nécessaires et formatrices. La première m’a confortée dans l’idée que j’avais bien fait de partir à Paris, et la dernière a été celle pendant laquelle je me suis le plus découverte en tant qu’artiste et pas seulement en tant qu’apprentie comédienne. Les deux premières années au Cours Florent, vous n’avez pas le choix de votre professeur. Vous atterrissez dans une classe le premier jour, et jusqu’au dernier, vous serez avec ces mêmes personnes. En troisième année, c’est un peu différent ; elle se décompose en plusieurs modules gérés par différents professeurs. D’un module à un autre, vous pouvez changer de classe et de professeur. La première année, j’étais très fragile quant à mon choix d’être ici. Finalement, n’aurais-je pas dû accepter ce CDI ? Pour moi, il est important de tomber sur un professeur bienveillant, passionné et rigoureux qui puisse vous accompagner et vous permettre de moins douter. Pour ma part, Guillaume Camous a été ce professeur. Par son enseignement et sa rigueur, il m’a vraiment aidé à m’assumer et me prouver que le choix récent que je venais de faire était le bon. Je me rappelle que lors des retours de notre première échéance, il a dit mon prénom et je m’étais glacée sur ma chaise. Après tout, je n’avais pas tant fait de théâtre que cela, je venais de faire cinq années d’étude et j’étais face à des élèves qui étaient au Cours Florent depuis leur adolescence. Et il m’a dit : “Rien à dire. Il s’agirait maintenant de ne pas me décevoir par la suite”. Cette phrase m’a tellement motivée à continuer de donner le meilleur de moi-même. Ma troisième année, j’ai passé les premiers modules avec Jerzy Klesyk, très connu dans l’école pour son intransigeance bienveillante et sa grande qualité à faire travailler la respiration, la voix et le corps. Il m’a vraiment appris les “techniques d’acteur”. J’ai découvert la respiration et la projection, et j’ai appris à avoir plus conscience de mon corps. Toujours un peu timide au plateau, il m’a vraiment fait confiance et m’a aidé à éclore définitivement dans ce chapitre florentin. Enfin, j’ai passé le dernier module avec Olivier Bonnard et Félix Kysyl. Ces deux-là m’ont appris à lâcher prise. On était totalement libre au plateau, et celle-ci, combinée avec l’apprentissage acquis, m’a fait me sentir prête à sortir de l’école. Enfin, c’est lors de la troisième année que j’ai écrit Hubris dans le cadre des Travaux de Fin d’Étude (TFE). C’est de cette manière-là que j’ai rencontré une grande partie de mon équipe avec qui je travaille encore aujourd’hui, plus d’un an après notre première rencontre.
Tu fais référence à ta compagnie, la Compagnie Paizo. Tu nous en parles ?
C.J.L : La Compagnie Paizo a été créée juste après les deux premières représentations d’Hubris en tant que TFE au Cours Florent. Nous avons joué le 1er octobre 2023, elle a été créée le 4 novembre. Le 18 novembre, elle signait 48 dates parisiennes pour Hubris. Nous sommes tous de jeunes comédiens et comédiennes et, pour ma part, je suis également une toute jeune autrice et metteuse en scène. Déjà à l’école, on se disait que, dehors, personne ne nous attendait. Et c’est vrai. Nous sommes dans un milieu réputé pour être difficile. Faire son trou demande énormément de travail, de persévérance, de passion et de confiance (et aussi de bonnes rencontres et contacts). C’est exactement pour ces raisons que la Compagnie Paizo a été créée. Elle nous permet de faire jouer notre spectacle en dehors des murs de l’école, d’engranger de l’expérience, de se montrer, et de rencontrer du monde. Petit à petit, un pas après l’autre, on creuse notre trou, ensemble. Aujourd’hui, la Compagnie Paizo m’a fait confiance pour Hubris et me la renouvelle pour la création de ma seconde pièce de théâtre qui est en cours d’écriture.
De quoi parle Hubris ?
C.J.L : Hubris est une écriture inspirée de l’Iliade d’Homère. À travers un texte profond, actuel et engagé et une mise en scène moderne et surprenante, on invite le spectateur à se replonger dans l’Iliade en redécouvrant la guerre de Troie par des primes de narration différentes que celles présentes dans l’épopée. Pendant 1h20, le spectateur découvre une voix plus intime et personnelle des héros grecs que sont Achille et Patrocle et entend, pour la première fois, le récit de ces femmes oubliées de la guerre que sont Thétis (mère d’Achille), Briseis (Rein troyenne donnée à Achille) et Chryseis (prêtresse troyenne donnée à Agamemnon). Nous avons tenu à dépoussiérer le mythe de sorte à ce qu’il rentre en écho avec notre actualité. Ainsi, Hubris amène à réfléchir sur notre condition, notre monde et notre avenir. Pour nous, la guerre de Troie est un mythe. Pour d’autres, elle est une bien triste réalité.
Quelle était ton intention en créant cette pièce ?
C.J.L : Ma première intention, aussi banale qu'elle puisse paraître, était de raconter une bonne histoire. Je ne m’étais pas investie d’une quelconque “mission” de faire ouvrir les yeux de quiconque sur une partie de notre monde, de notre histoire ou quoi que ce soit. Je n’ai absolument pas l’expérience et le recul nécessaire pour ce genre de chose, je les laisse aux autres qui savent très bien le faire. Ma seconde était de raconter un pan méconnu d’une œuvre mondialement connue. Cependant, j’ai tenu à ne pas faire une adaptation de l’Iliade, mais bien une création autour de l’épopée. Personnellement, j’adore apprendre de nouvelles choses un peu niches sur des sujets que tout le monde maîtrise plus ou moins. J’aime découvrir des anecdotes croustillantes, des faits divers, des nouvelles intrigues, etc. En écrivant Hubris, je voulais que le spectateur se fasse une petite piqûre de rappel de l’Iliade sans lui raconter une nouvelle fois l’Iliade. Je voulais qu’il sorte de la représentation en se disant : “Ok, j’ai redécouvert l’Iliade, j’ai appris des choses niches sur l’Iliade et pourtant, j’ai vu Hubris”. Enfin, en créant Hubris, je ne voulais pas faire du “recyclage de déjà vu”. Il est évident que je me suis inspirée de choses qui me touchent personnellement et que j’ai jouées avec certaines conventions théâtrales connues et reconnues, mais cela me tenait à cœur de faire du théâtre un peu nouveau et à ma manière. Et de certains retours que j’en ai, Hubris est nouveau puisque, dans un premier temps, on ne s’attend pas du tout à voir cela quand on parle de mythologie et de tragédie grecque. Dans un second temps, on me dit souvent que c’est une pièce qui se situe entre le cinéma et le théâtre. Cela ne m’étonne pas vraiment que l’on me dise cela puisque nos inspirations visuelles et musicales viennent entièrement du cinéma. Je tenais à embarquer le spectateur dans un univers entièrement pensé, créé et assumé.
Justement, cette mise en scène est très sophistiquée, presque cinématographique. Il y a un vrai travail sur les couleurs, le clair, le sombre et le rouge. De quoi t’es-tu inspirée ?
C.J.L : Pour les lumières et les musiques, avec Ugo Bussi, on s’est inspirés des visuels de Dune et Blade Runner 2049. On a vraiment voulu moderniser la pièce et le récit et, au-delà du texte, de la mise en scène et des costumes. Les lumières et les musiques étaient de très bons moyens pour y arriver.
Trois mots pour nous donner envie d’aller voir Hubris ?
C.J.L : Vous. Pas. déçu.es [rires].
Parlons casting ! En tant que scénariste et metteuse en scène de la pièce, comment as-tu trouvé les comédiens et comédiennes qui partagent la scène avec toi et incarnent tes personnages ?
C.J.L : Cécile Garnier, qui joue Briseis, est ma meilleure amie. Quand j’ai décidé de créer une pièce de A à Z, je n’avais même pas encore d’idée de sujet qu’elle m’a de suite soutenue. Pour ce qui est de Nelson Mitchell, qui joue Achille, et Corentin Gerold, qui joue Patrocle, je les ai tous les deux rencontrés au Cours Florent. Après avoir trouvé le sujet sur lequel je voulais travailler, j’ai fait passer une annonce de casting au sein de l’école et ils ont postulé. Ils n’ont pas, à proprement parler, passé de casting. Pour ce qui est de Nelson, je n’avais pas encore écrit une ligne que je lui ai présenté le projet. Il y a cru et y a adhéré. Corentin nous a rejoint un peu plus tard dans l’aventure. L’acte 1 était écrit, donc il a seulement passé en lecture une scène avec Nelson autour d’un café, on a discuté de lui de ses passions et de ce que nous recherchions. Léa Michelot, qui joue Chryseis, a passé un véritable casting et a rejoint l’aventure en mai dernier. Elle a préparé deux scènes envoyées en amont et elle les a jouées devant la totalité de l’équipe. Même si j’avais le dernier mot, il était important pour moi de récolter le ressenti de tout le monde et que ce soit une décision collective. Chacun doit se sentir bien avec l’autre pour occuper une place paisible au sein du groupe. Je suis une mauvaise élève des castings, j’avoue. Je n’aime pas vraiment en faire passer. Quand je suis à l'origine du projet, j’aime travailler avec des gens que je connais déjà plus ou moins et dont je connais déjà (plus ou moins encore) leur jeu. Après, c’est mon rôle en tant que metteuse en scène de les diriger et de les accompagner pour qu’ils maîtrisent le rôle à la perfection. Mais j’accorde beaucoup d’importance à la personne qu’il/elle est avant d’en donner au/à la comédien.ne qu’il/elle est. Le meilleur exemple de cela est la seconde pièce. L’équipe est déjà complète et la bande-annonce est déjà tournée alors que je n’ai pas écrit la pièce entièrement. Quand j’ai trouvé ce sur quoi j’allais créer, j’ai contacté celles et ceux à qui je pensais pour les rôles. J’ai bu un café avec chacun et je leur ai présenté le projet. Les cinq ont accepté parce que cette aventure est avant tout humaine. C’est ça qui est stimulant et intéressant.
Tu fais passer des castings, mais tu en passes aussi. Comment te prépares-tu avant un casting ?
C.J.L : Même si cela paraît évident, j’apprends le texte sur le bout des doigts. Ensuite, je me renseigne. Si je postule pour un personnage historique ou mythologique (comme Thétis dans Hubris, par exemple), je fais quelques recherches sur sa vie, sur l'œuvre, sur l’auteur. Il est important de savoir un minimum parler de ce pour quoi on passe le casting. Si c’est un personnage complètement fictif, j’essaie, dans un premier temps, de m’en tenir au texte. J’essaie au maximum d’éviter d’apporter du moi en lui. Ce sera avec le/la metteur.se en scène que je donnerais vie au personnage, selon sa vision, sa direction. Ce sera pendant le travail, si je suis retenue, que j’apporterais plus de moi. Bien sûr, j’essaie de cerner les enjeux et la situation, mais mon objectif principal est de bien dire le texte, de le faire entendre, de le laisser raisonner. Pour cela, souvent, je le dis à voix haute chez moi et je l’adresse des fois à mon conjoint Ugo Bussi car je trouve que l’entendre ou l’adresser à quelqu’un éclaire certaines choses qui peuvent nous échapper lorsqu’elles restent sous silence. Enfin, avant le casting, quand je m’y rends, je fais des exercices d’articulation pour éviter de bafouiller le texte, des exercices de respirations, je me fais craquer le corps et après je me dis : “Aller ma grande, tu n’as rien à perdre, tout à gagner, donc banco”. Un peu comme une boxeuse avant de rentrer sur le ring.
Un conseil à donner aux membres de Casting.fr qui passent des castings ?
C.J.L : Règle n°1 : Vous allez y arriver.
Règle n°2 : Préparez-vous bien en amont.
Règle n°3 : Vous allez y arriver.
Règle n°4 : Soyez généreux au plateau. Souvent je me répète que si mon jeu me parait “trope pour moi, il est à peine perceptible pour ceux qui me regardent.
Règle n°5 : Vous allez y arriver.
Règle n°6 : Ne vous regardez pas jouer. Essayez de vous détacher de votre propre jugement. Vous êtes vos meilleurs bourreaux.
Règle n°7 : Vous allez y arriver.
Règle n°8 : Vous n’avez aucunement besoin à tout prix de ressentir ce que ressent votre personnage. Accrochez-vous au texte dans un premier temps, faites le raisonner, comprenez-le bien et dites-le simplement avec vos enjeux en tête.
Règle n°9 : Vous allez y arriver.
Règle n°10 : Ne jamais oublier les règles n° 1, 3 et 5, 7 et 9.
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