Tigran Mekhitarian, comédien et metteur en scène actuellement à l'affiche de Dom Juan, nous raconte les dessous de sa carrière palpitante
Tigran Mekhitarian, comédien et metteur en scène actuellement à l'affiche de Dom Juan, nous raconte les dessous de sa carrière palpitante
Bonjour Tigran Mekhitarian. Vous êtes ce que l’on nomme un artiste complet, puisque vous êtes à la fois comédien et metteur en scène. D’où vous vient cette passion pour les arts du spectacle ?
T.M : Au collège, en 5ème, je me suis un jour moqué d’un ami proche qui me disait qu’il allait faire du théâtre au Conservatoire de Menton. Il m’y a invité, j’y suis passé par curiosité. Finalement, j’y suis resté 7 ans et je suis monté à Paris pour vivre de ce métier. Lucien Rosso était mon premier professeur, je pense donc que cette passion est née grâce à lui et à sa façon de parler du théâtre.
Quelles formations avez-vous suivies pour devenir comédien ?
T.M : Pour être comédien, ma formation a donc été :
- 7 années au Conservatoire Municipal de Menton
- 3 ans au cours Florent
- 1 an dans la première édition « 1er Acte » au Théâtre National de la Colline dirigée par Stanislas Nordey
- 6 mois au conservatoire du 8eme arrondissement.
- Et 3 ans à l’école nationale de l’ESCA (École Supérieur des Comédiens par Alternance)
Et pour devenir metteur en scène ?
T.M : Pour devenir metteur en scène je n’ai fait aucune formation, j’ai appris en le faisant.
On vous retrouve dans Dom Juan, l’une des pièces qui a été le plus adaptée au théâtre. Comment êtes-vous parvenu à faire votre propre mise en scène ?
T.M : Pour la mise en scène de Dom Juan, il fallait que ce Molière aussi baigne dans un univers hip-hop avec l’énergie d’une jeunesse en pleine révolte, comme mes précédentes mises en scène. Il y aura donc des armes, du sang, de la violence, des expressions actuelles qui remplaceront parfois ou ponctueront la prose de Molière. En tout cas une réelle liberté sur l’adaptation mais toujours et avant tout sans dénaturer le texte de Molière. La différence était que je passais d’une équipe de dix comédiens à quatre. Et que cette fois-ci j’y jouais un rôle conséquent. La prise de recul est plus difficile et le plus important sur une pièce de Molière c’est de faire entendre l’histoire. Et pour bien le faire entendre, il faut d’abord bien se la raconter à soi-même. Donc il y a eu des prises de positions claires, sur les enjeux dramatiques et les propos ou sujets que Molière voulait convoquer. Il est primordial de jouer des questions de vie ou de mort sur le plateau pour se permettre les digressions que nous faisons. La pièce parle donc de religion, de prises de position, du rapport à la liberté, aux lois morales, à la condition sociale, à l’honneur d’une famille, de beaucoup de choses. La mise en scène c’est donc, ce que l’on veut raconter de tout ça au public et quel message on veut envoyer. Et nous voulons ici exprimer comment aujourd’hui les mots de Molière résonnent et nous permettent de voir notre monde, avec le point de vue de la jeunesse de 2022.
Dans votre mise en scène, vous mettez en avant la culture urbaine. Pourquoi ce choix ?
T.M : Oui je mets en avant la culture urbaine, car je la vis depuis 30 ans et que c’est la mienne. Je la porte en moi, je ne peux donc pas tricher si je la mets sur un plateau de théâtre car elle est réelle. C’est fondamental pour ne pas donner l’impression que nous faisons une caricature de la banlieue ou du hip-hop, qui plus est sur un texte culte et classique. J’aime la langue, la poésie, l’humour et les valeurs de Molière et j’aime, le rap, les graffs, les codes vestimentaires et l’énergie insolente du hip hop. Donc j’aime les marier sur un plateau de théâtre.
Comment s’est déroulé le casting pour trouver les comédiens de Dom Juan ?
T.M : Le casting s’est fait rapidement. Pour Sganarelle c’était une évidence, Théo Askolovitch est un acteur et un artiste que j’admire et que je suis depuis plusieurs années et notre complicité au plateau est palpable, il était donc évident que le duo Dom Juan/Sganarelle marcherait très bien avec lui. Marie Mahé, je l’ai vu jouer Dom Juan justement dirigée par Sarah Llorca lors d’une restitution de stage à l’Ecole Nationale de l’ESSAD. Elle dégageait une férocité et un instinct animal au plateau qui m’intéressaient beaucoup pour les rôles féminins de la pièce, qui en prennent quand même plein la gueule. Elle dégageait également une énergie insolente qui me correspond, j’étais donc sûr que la collaboration au plateau ferait des merveilles. Et pour être parfaitement honnête, Arthur Gomez a intégré l’équipe il y a peu, suite au départ de l’ancien comédien qui jouait dans notre pièce. J’ai déjà eu le bonheur de travailler avec lui lors de la précédente mise en scène de l’Avare, où il campe un Valère que je trouve remarquable. J’ai fait beaucoup de stages et l’ai vu sur scène à plusieurs reprises, ça a toujours été un acteur que j’admire par sa virtuosité et sa grandeur. Il a su reprendre les 5 rôles qui lui sont imposés par la mise en scène en un clin d’œil, en les inscrivant chacun dans sa folie et son savoir-faire.
En tant que comédien, vous avez dû passer énormément de castings. Racontez-nous une anecdote.
T.M : Un jour j’ai rejoint un stage à trois heures de la fin, mais qui durait depuis deux jours. Ce stage consistait à travailler avec une agent dont je ne me souviens malheureusement plus du nom à l’heure où j’écris cette réponse. J’ai simplement passé un monologue devant les candidats et l’agent. J’ai dit que c’était un texte de Mael Mohammed, dans un film qui s’appelle l’Impasse de 1995, tourné en Algérie. En réalité c’était faux, j’étais en pleine improvisation du début à la fin de ce monologue. L’agent a trouvé que j’étais très au présent sur le texte et que je savais le faire vivre. J’ai été le seul qu’elle ait pris dans son agence.
Comment bien se préparer à un casting ?
T.M : Je ne sais pas si je suis bien positionné pour donner une réponse. Je dirais que c’est un travail et qu’il faut beaucoup de concessions. Donc il faut accorder simplement du temps à la préparation du casting, une fois le texte su à la perfection, travailler à être à l’aise sur les intentions, intonations, l’adresse et toutes ces choses qu’on faisait lorsqu’on était en cours de théâtre et qu’on réservait des salles jusqu’à 22h00 le soir pour bosser ses textes.
Selon vous, que faut-il pour devenir un bon comédien et incarner son rôle au mieux ?
T.M : Je pense que pour être un bon comédien il faut d’abord savoir pourquoi on parle et à qui on parle. Oublier les spectateurs, les caméras, et se concentrer uniquement sur le propos et la personne à qui on adresse notre texte. Les premiers réflexes lorsqu’on apprend à jouer c’est souvent d’attirer l’attention sur le plateau de part une démonstration de savoir-faire avec des ruptures à tout-va ou une écoute excessive, ou la surexplication de son texte etc. Pour moi, c’est un piège, c’est justement là où on ne rend pas service à la pièce ou au le film. Faut rester focus, comprendre que jouer ce n’est pas expliquer mais faire.
Que diriez-vous aux membres de Casting.fr qui souhaitent vivre de leur passion pour la comédie ?
T.M : Je dirais à tous ceux qui veulent vivre de leur passion : ne lâchez rien mais c’est un métier où l’égo est souvent sollicité. Et faut savoir le mettre de côté et entendre les retours qu’on nous fait. Parce qu’on a choisi d’avoir une vie qui nous expose constamment à la critique. Soit on en fait une force, soit une faiblesse.
Retrouvez Tigran Mekhitarian sur la scène du Lucernaire du 12 octobre au 4 décembre 2022. Pour en savoir plus sur Dom Juan, rendez-vous sur notre article disponible ici.
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Crédits photo : Cedric Vasnier